Gilles Bilodeau constate qu'il n'a plus sa place
Par Claude Bédard
Denver - Gilles Bilodeau et l'histoire d'un homme qui se reconnait! Tous les autres joueurs avaient déjà quitté l'aérogare pendant qu'il attendait encore sa valise au carroussel de la Trans-World, mais le gaillard de Saint-Prime a l'habitude de passer après les autres.
Dans ce monde, qui lui paraît encore aussi étrange qu'à la première heure chez les Jaros, à Saint-Georges de Beauce, et plus tard, à Toronto, ce tarzan des hockeyeurs attend toujours aussi, une décision qui ne vient pas, une chance qu'il ne connaîtra peut-être jamais. Lorsqu'il fut rappelé de Syracuse, ce fut comme si les Nordiques concédaient le pas final dans la course pour une place dans les séries éliminatoires.
Ce n'est pas avec Gilles Bilodeau qu'ils y parviendront. Voilà toute la confiance qu'on a en cet homme. Et, Bilodeau, pas fou, s'en rend bien compte. D'ailleurs, au début de la saison, il a prévenu ses patrons: "Si je ne reste pas chez les Nordiques pour la saison, ne vous attendez pas de vous servir de moi comme d'un yo-yo pour venir défendre votre peau, à l'occasion. Si je reste, d'accord, sinon, je préfère demeurer, à Syracuse."
Le 22 novembre, à Boston, Bilodeau était du renfort appelé par les Nordiques pour aider à défendre Ftorek dans la fosse aux lions des Bruins. Il n'a reculé devant personne, mais n'a surtout rien commenté et le lendemain, après avoir tenu sa promesse, il repartait vers Syracuse, mais non sans recevoir la bise de ses bons amis, Wally Weir et Curt Brackenbury.
L'an dernier, en passant par Hartford, le président, Me Aubut, lui lanca, comme ca: "Nous avons fait une grave erreur en te faisant signer un contrat". Cette année, raconte le gros "policier", Gilles Léger lui a promis une chance équitable au camp d'entraînement, mais avant que commencent les matches pré-saison, il était déjà cédé à l'équipe.
Le dindon...
"Ce n'est rien pour donner confiance à un homme", murmure Bilodeau, qui se demande sérieusement s'il n'est pas le dindon de la farce. L'ère des gros bras, sans avoir complètement disparu, ne donne plus lieu à autant de dévotion et pour appartenir à l'escouade, les matraqueurs doivent également savoir jouer au hockey.
"Je me pose des questions. Je vois bien ce qui se passe autour de moi. Je sais qu'il me manque une seconde ou deux, mais comment me convaincre que je ne peux jouer dans la ligue Nationale, si je n'ai pas, comme Wally Weir, la chance de faire mes preuves. Dans cette ligue, on n'a pas besoin de se battre pour se faire respecter, mais pour savoir jouer on doit avoir la chance d'aller sur la patinoire. Mais, aux gros bras, on n'a pas envie de leur montrer", dit ce célibataire de 25 ans.
Tous savent que Bilodeau n'est pas le hockeyeur le plus talentueux au monde. D'ailleurs, à sa dernière saison chez les juniors, il n'avait marqué que 6 buts en 66 parties et mérité 377 minutes de punition chez les Éperviers de Sorel. Rien pour le promettre à une très brillante carrière.
Cependant, Bilodeau en a contre l'idée de vivre en marge des autres et de ne chausser les patins que pour se battre. Il en a assez. Pourtant, les Nordiques lui ont déjà consenti un contrat de trois ans pour ses talents pugilistiques et, s'il ne les exploite pas, on le paie, pour ainsi dire, à ne rien faire.
Son seul métier
Dave "The Runner" Schultz, qui a croulé jusqu'aux mineures, après avoir fait la pluie et le beau temps dans la ligue Nationale, déclarait cet hiver, qu'il regrettait d'avoir joué les bouffons à ce point. "Si c'était à recommencer, je me contenterais de jouer au hockey", a-t-il dit. Mais, justement, Bilodeau se demande si Schultz, comme lui, aurait pu obtenir un contrat pour jouer au hockey dans les rangs professionnels.
A entendre Bilodeau, c'est presque le réveil d'une brute qui se demande s'il est bien à sa place dans un monde de hockey qui se veut un peu plus raffiné. "Après avoir écoulé la dernière année de mon contrat, j'irai peut-être chercher ailleurs, mais ce n'est pas très sûr. Je commence à en avoir marre."
L'ennui, c'est qu'il est comme bien d'autres, attaché au seul métier qu'il connaisse vraiment et son rôle n'est plus aussi recherché par les propriétaires des équipes. La violence ne remplit plus les amphithéâtres et Gilles Bilodeau est le premier à le reconnaître.
En d'autres mots, son cas, c'est l'histoire pathétique des derniers patineurs du grand cirque du hockey. Encore chanceux d'appartenir à une organisation dont l'équipe s'éloigne des séries; il aura eu la chance de jouer, un jour, dans la Ligue nationale. Combien ont rêvé à ce jour sans ne jamais le vivre?
Grâce à ses gros biceps, Bilodeau y est arrivé, mais il ne veut plus s'en servir sans savoir jouer. Son ambition a malheureusement, peu de chances de se réaliser. "C'est bien la seule chose que je regrette jusqu'ici", a-t-il confessé, en cherchant à savoir ce que lui réserve l'avenir.
Il le sait, mais quand on mesure 6 pieds et un pouce et qu'on pèse 220 livres, on préfèrerait ne jamais le savoir!
Journal de Québec, 21 Mars 1980.