Pour demeurer près des siens
Germain Gagnon refuse un contrat de
trois ans
Par Richard Banford
Chicoutimi - "Je garde de bons souvenirs de mon passage dans les
rangs professionnels. Mais j'ai connu de grandes déceptions aussi".
En 1974-75, alors que Germain Gagnon terminait au premier rang des compteurs chez les
ailiers gauches des Black Hawks de Chicago de la Ligue nationale de hockey, il
n'envisageait même pas de prendre sa retraite comme joueur actif à 34 ans. Les
choses allaient bien pour le joueur chicoutimien; sa petite famille s'acclimatait
tranquillement aux quartiers burlesques de Chicago et les Gagnon vivaient heureux dans
leur coquette maison de banlieue.
Mais c'était sans compter sur l'ineffable ségrégationniste William "Billy"
Reay. Reconnu pour sa préférence pour les joueurs anglophones, l'instructeur des
Hawks guettait l'occasion d'échanger Germain Gagnon.
Pour permettre de protéger des joueurs plus jeunes, le nom de Germain Gagnon est placé
sur la liste des joueurs non protégés. Saisissant l'occasion, Kansas City repêche
le vétéran ailier gauche. Il s'agissait du début de la fin pour Gagnon.
"Ca m'a donné un choc de voir mon nom sur la liste des joueurs non protégés.
J'en ai perdu le goût de jouer au hockey", explique Germain Gagnon.
"A Kansas City, ma condition physique laissait à désirer. Je n'avais plus la
tête au hockey. On m'a renvoyé dans les mineures et avant même la fin de la
saison, ma décision de mettre fin à ma carrière professionnelle était prise",
soutien l'ex-membre de l'organisation des Canadiens, maintenant gérant de la discothèque
1212, à Chicoutimi.
Au cours de l'été dernier, Gagnon avoue avoir regretté un moment cette
décision. "J'ai recu un téléphone des dirigeants des Racers d'Indianapolis.
On m'offrait un alléchant contrat de trois ans. Après quelques jours de
réflexion, et prenant en considération que je devrais une fois de plus m'éloigner de ma
famille, j'ai rejeté l'offre des Racers", de commenter Gagnon.
L'ex-porte-couleurs des Hawks ne se cache par pour traduire ses sentiments à l'égard de
la course folle aux dollars dans le monde du hockey professionnel. "Il fallait
que cela arrive un jour. Les propriétaires ont trop longtemps profité des joueurs
de hockey, je suis l'un de ceux-là et cet abus a joué contre eux", soutient-il.
Ainsi, si Québec s'était montré intéressé aux services de Gagnon, avant qu'il ne
prenne sa retraite définitive, le vétéran joueur de hockey aurait sûrement profité de
la manne comme tout le monde. "Québec n'est pas situé très loin de
Chicoutimi. Je n'aurais pas eu à déménager ma famille. Si les dirigeants
des Nordiques m'avaient approché, sans doute que j'aurais pu leur donner encore trois
bonnes années de hockey", affirme Gagnon.
Une aventure enrichissante
Malgré tout, Germain Gagnon considère son passage dans les rangs professionnels comme
une aventure enrichissante. "Parmi les bons souvenirs que je garde de mon
passage au hockey professionnel, les voyages à travers toutes les grandes villes
nord-américaines resteront gravés longtemps dans ma mémoire. On apprend beaucoup
en voyageant, et de ce point de vue, le hockey professionnel peut se comparer à n'importe
quelle école de formation", soutient Gagnon.
"Il y a également les nombreux amis que je me suis fait au hockey. Le hockey
est un milieu propice aux amitiés sincères comme aux antipathies profondes", note
encore Gagnon.
Pour Gagnon, le hockey professionnel ne sied pas à tout le monde. Outre le talent,
bien sûr, un hockeyeur se doit de posséder un tempérament spécial pour pratiquer ce
métier-là.
Le plus important pour le jeune hockeyeur visant une carrière professionnelle s'avère la
discipline personnelle. "Je vais voir évoluer les Saguenéens régulièrement
et je peux dire en les observant sur la patinoire s'ils possèdent le tempérament d'un
joueur professionel", assure Gagnon.
"Ainsi, je crois que certains joueurs feront face à une grande déception au cours
de la prochaine séance de repêchage des ligues majeures. Celui, chez les 19 ans,
qui a la meilleure chance de graduer directement chez les pros, c'est Robert
Sullivan", assure Gagnon.
Questionné à savoir s'il mettrait un jour son expérience au service des jeunes
hockeyeurs à titre d'instructeur par exemple, Germain Gagnon s'est montré hésitant à
répondre.
"J'ai joué au hockey à l'époque difficile. J'ai eu la vie dure et je me
demande si je serais en mesure d'accepter la philosophie de la nouvelle génération
d'hockeyeurs. Lorsque je lis les journaux aujourd'hui et que je constate que des
joueurs d'âge junior se disent fatigués à la fin de la saison, je me demande ce qu'ils
font dans le hockey.
Même si les conditions salariales des joueurs professionnels se sont améliorées, il
n'en demeure pas moins que le trvail reste le même. Je crois que le meilleur
conseil que je puisse donner aux candidats à un poste dans les ligues professionnelles,
c'est de ne jamais arrêter de travailler très fort, au cours des séances
d'entraînement comme durant les matchs".
"Il n'y a pas de mystère là-dedans. On fausse souvent l'image du hockeyeur
professionnel. La vie facile, les grands hôtels, ca paraît bien, mais ce n'est
qu'une facette fragile de la vie d'un hockeyeur professionnel. Les gestes
répétés, les séances d'entraînement quotidiennes, la vie entre deux valises et
l'appréhension constante de perdre sa place dans l'alignement, sont beaucoup plus
conformes à la réalité", de poursuivre Germain Gagnon, qui n'avoue pas moins
s'ennuyer de ce mode de vie.
"Pour me défouler et oublier le passé, je pratique encore le hockey avec des amis
à Arvida. J'évite de regarder les matchs des Canadiens à la télévision et on ne
parle pratiquement plus de hockey à la maison".
"Je partage mes occupations entre ma petite famille et ma nouvelle business.
Ca tranche définitivement avec la vie trépidente d'un hockeyeur professionnel",
note finalement Gagnon, entre deux salutations à sa clientèle circulant à l'intérieur
de son piano-bar.
Progrès-Dimanche, 20 Mars 1977.